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Chez Sylvania
fiction
17 février 2014

La magie de ces instants

Sujet imposé : les jeux olympiques d’hiver


La lumière des projecteurs braquée sur elle, gracile silhouette immobile au milieu de la salle. Blondeur fragile, regard de biche ombré de longs cils, le corps souple comme une liane. Fine, tellement fine.
Visage incliné, le dos cambré. Un bras devant les yeux, l’autre formant une arabesque aérienne, elle attend.
Un silence fébrile tombe sur les gradins. Les dernières secondes sont les plus longues.
Elle respire lentement, profondément.
Son image retransmise sur les écrans géants tout autour de la salle, dans des millions de foyers de part et d’autre de la planète. Elle est presque en transe, loin, très loin de cet univers.
Les premières notes explosent, brisant l’insupportable silence. Elle s’envole.
La musique l’emporte, se mêlant au crissement des lames sur la glace. Elle glisse, aussi légère que les volants qui ornent sa tunique. D’un coup de patin elle se propulse en l’air, tourbillonne si vite qu’elle ne perçoit plus qu’un brouillard coloré autour d’elle. Elle a l’impression qu’elle pourrait toucher les cieux si elle tendait la main.
D’un pied sûr lorsqu’elle touche à nouveau la glace, elle enchaîne les figures. Parfaite. Nul ne peut deviner les années d’entraînement derrière son aisance apparente, les heures de travail jusqu’à la limite de l’épuisement.
Elle virevolte avec grâce, tel un ange éthéré descendu du ciel pour émerveiller les mortels. Ses cheveux blonds font comme un halo doré autour de son visage tandis qu’elle pirouette avec légèreté.
Le rythme de la musique s’accélère. Elle oublie son souffle court, ignore les battements sourds de son cœur. Le sang qui bat dans ses veines propage l’adrénaline dans tout son corps. Rien ne peut lui arriver, c’est le jour de son triomphe.
Dans les gradins, le public est en liesse. Les applaudissements font vibrer les murs de la patinoire à chaque saut qu’elle exécute à la perfection. Elle ne les entend pas, seule la musique la guide. Elle se joue des difficultés de son programme, transcendée par la magie de ces instants.
En elle un orage gronde, tempête de sentiments qui s’agitent. La mélodie arrive à son terme, trop tôt. D’une infime inclinaison du bassin, elle modifie sa posture, prépare une apothéose. La glace sous ses patins, l’air qui l’entoure, les notes de musique, elle est possédée.
Elle entame sa dernière pirouette, en équilibre sur la mince lame d’acier. Emportée par son élan, elle tourne de plus en plus vite, cambrée vers la glace, ses bras formant une arabesque mouvante au-dessus de sa tête. Son corps n’est plus qu’un éclair écarlate qui enflamme la patinoire. Ce n’est plus elle qui tourbillonne, c’est le monde qui accélère autour d’elle.
À l’instant précis où meurt le dernier accord, elle s’immobilise. Exactement la même position qu’au début. La dureté de l’acier sous cette apparence de fragilité.
Le silence est assourdissant avant l’explosion du public. Un public qui a conscience du miracle auquel il a eu la chance d’assister.
Du haut de ses quinze printemps, elle vient d’atteindre son rêve. Championne olympique.

 

Yulia Lipnitskaya

Merci à celle qui a inspiré ces lignes... 

 

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9 février 2014

Dernière danse

Ce texte est la suite de Elle était là...

 

Les haut-parleurs diffusaient un vieux tube des années soixante dont elle ne connaissait pas le titre. Se laissant bercer par la mélodie, elle ferma les yeux.
Que faisait-elle là, elle la phobique de la foule, au milieu de ces personnes dont la plupart lui étaient inconnues quelques heures plus tôt ? Pourquoi avait-elle laissé son ami la convaincre de l’accompagner ?
La réponse à cette dernière question, elle la connaissait. Elle était venue pour le voir. Parce qu’après des mois d’échanges complices, de taquineries amicales et de sous-entendus parfois ambigus, elle avait besoin de savoir ce qu’il en était réellement. Elle avait vu.
Toute la journée, elle l’avait observé... les avait observés. Un couple parmi les autres. Pas forcément démonstratifs dans leur attachement, mais un couple quand même, certains signes ne trompaient pas.
Une fois de plus, la même question vint la torturer. Qu’était-elle venue faire si loin de chez elle ?
La réalité l’avait rattrapée, et avec quelle force !
Elle avait lu l’hésitation dans son regard quand il avait découvert sa présence. Sur le coup elle ne l’avait pas comprise. Puis, lors de leur unique et bref moment en tête-à-tête au cours des deux derniers jours, il lui avait dit, et prouvé, combien il était heureux de la revoir. Elle avait oublié ses doutes. Juste avant de la rencontrer.
Autour d’elle, l’atmosphère changeait, évoluait. La voix langoureuse du crooner avait été remplacée par les rythmes endiablés d’un morceau plus récent, plus festif aussi. Le murmure des conversations se mêlait à la musique, créant un fond sonore qui l’abrutissait.
La scène était encore fraîche dans son esprit. Était-il possible qu’à peine vingt-quatre heures se soient écoulées ?
Elle venait de pénétrer dans le salon, le cœur encore battant de leurs retrouvailles, quand une jeune femme d’une vingtaine d’années s’était plantée devant elle. Des boucles blondes, des yeux d’un bleu lumineux, un sourire franc sur le visage. Une silhouette élancée aux formes féminines mises en valeur par une robe osée.
« Salut », lui avait-elle lancé d’un air avenant. « Je crois qu’on ne se connaît pas encore. Je suis Cathy, la fiancée de Yann. »
La fiancée de Yann.
Il lui avait fallu quelques secondes pour comprendre. Pour réaliser que cette fille parlait bien du même homme, celui avec qui elle venait d’échanger un baiser passionné dans l’intimité de la cuisine.
Même si le geste n’avait rien eu de prémédité, elle n’avait pu imaginer le plaisir qu’il y avait pris, le regret dans ses yeux quand ils s’étaient séparés. À présent elle s’interrogeait. Avait-il regretté de mettre fin à leur étreinte comme elle l’avait cru, ou bien de s’y être abandonné ?
Prenant soudain conscience que la jeune femme attendait toujours, la regardant d’un air intrigué cette fois, elle avait balbutié une réponse dont elle n’avait gardé aucun souvenir.
Fin de la scène. Mais début de son calvaire.
Un couple se laissa tomber sur le canapé à côté d’elle, plaisantant, riant. Des voix qui ne lui étaient pas familières. Sans même ouvrir les yeux, elle s’écarta, se rencognant plus étroitement contre les coussins.
Si elle n’avait pas été si loin de chez elle - environ six cents kilomètres à vol d’oiseau - elle serait repartie sur le champ. Mais elle savait déjà qu’il lui serait impossible de trouver un billet de train en cette période de fêtes. Et puis, comment justifier sa décision auprès de ses amis ?
Alors elle était restée, buvant le calice jusqu’à la lie. Et tout s’était compliqué.
Elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même si la situation avait dégénéré. Pourquoi avait-elle noyé sa désillusion dans l’alcool, elle qui ne buvait jamais ? Première erreur. Les effets des deux ou trois verres qu’elle avait ingurgités n’avaient pas tardé à se faire sentir, effaçant sa réserve habituelle, lui donnant une audace qu’elle ignorait posséder.
Ils s’étaient rapprochés, c’était inévitable. Sans jamais dépasser la ligne fragile de l’amitié, sans que jamais un mot, un geste, ne trahisse leurs véritables sentiments. Deuxième erreur, côte à côte sur le canapé pendant la soirée jeux vidéo. Les corps qui se frôlent et le désir qui monte.
Quand tout le monde était allé se coucher, étalant les sacs de couchage sur les tapis du salon, ils avaient continué de discuter, elle allongée sur le canapé, lui assis par terre, conscients de la présence de leurs amis dans la pièce. Nouvelle erreur, évidemment. L’obscurité aidant, ils avaient retrouvé le ton ambigu de certains de leurs échanges. Les confidences chuchotées à voix basse leur avaient fait oublier où ils se trouvaient, lui avaient fait oublier toute prudence.
Et la dernière erreur, énorme, incompréhensible. Une folie, rendue possible par l’alcool qui lui avait ôté toute raison. Des mots qu’elle ne se serait pas cru capable de prononcer, une invite à la rejoindre sur le canapé, sous la couverture qui lui tenait chaud. Le reste était trop gênant pour qu’elle s’autorise à y penser.
Elle en était là, moins de vingt-quatre heures plus tard.
Avec au fond du cœur un dégoût d’elle-même d’autant plus fort qu’elle ne regrettait rien.
Autour d’elle, la fête battait son plein. D’ici un peu plus d’une heure débuterait une nouvelle année. Elle ouvrit les yeux pour contempler le salon bondé, les gens qui s’agitaient. Il était de l’autre côté de la pièce, discutant avec des personnes dont elle n’avait pas retenu le nom. Sur la piste de danse improvisée, sa fiancée se trémoussait au son de la musique latino qui avait pris le relais.
Elle baissa les yeux, tourmentée par des sentiments contradictoires.
- Je te regarde depuis un moment, fit une voix masculine. Ça n’a pas l’air d’aller très fort.
Elle haussa les épaules dans un geste faussement désinvolte qui ne trompa pas son ami.
- Tu veux en parler ? insista-t-il en se faisant une place à côté d’elle sur le canapé.
- Tu me connais, prétendit-elle, je ne suis pas à l’aise au milieu de la foule.
Elle le sentit qui se rapprochait, de manière à ce que personne d’autre qu’elle ne l’entende.
- Pourquoi tu ne vas pas lui parler ?
Ne s’attendant pas à cette allusion directe, elle leva les yeux sur lui. Il la regardait avec une gentillesse mêlée de compréhension. Même s’il ne le lui avait pas dit explicitement, elle savait qu’il savait.
- Je... je ne peux pas... pas après... pas avec Cathy qui... Je ne peux pas.
- Tu es en train de te rendre malade.
Elle ne dit rien, que pouvait-elle répondre à ça ?
- C’est toi qui as insisté pour que je vienne, lui fit-elle remarquer.
- Je ne savais pas pour Cathy, c’est ma seule excuse. Mais tu aurais pu refuser.
- J’aurais dû.
- Tu regrettes d’être venue ?
- Oui !... Non... Je ne sais pas... Ça m’a fait plaisir de revoir toute la bande, de faire connaissance avec ceux que je ne connaissais que de nom, mais... Je me suis conduite comme une idiote.
- Ce n’est pas vrai, protesta-t-il, tu t’es simplement conduite comme une femme a...
- Non ! l’interrompit-elle affolée. Ne prononce pas ce mot.
Il posa doucement sa main sur la sienne dans un geste de réconfort.
- Même si je ne le dis pas, tu sais que j’ai raison. Ça transparaît quand tu parles de lui.
- Je ne veux pas, je ne peux pas ! gémit-elle tout bas. C’est trop douloureux.
- Je sais, murmura-t-il en l’attirant contre lui, je sais.
Ils restèrent quelques instants enlacés.
- Est-ce que... C’est mal, de voler quelques instants de bonheur ? souffla-t-elle d’une voix étouffée, serrée contre lui.
Il hésita quelques secondes avant de répondre.
- Non... non ce n’est pas mal.
- Même si le bonheur n’est pas le mien ?
- C’est... dangereux. Mais si tu en acceptes les conséquences...
Gardant le silence, elle médita ces paroles.
Une fois de plus, la musique changea, révélant les premiers accords d’un slow datant de l’été précédent. Sur la piste de danse, les couples se formaient.
- Allez, fit son ami en se levant sans prévenir, l’entraînant à sa suite. Viens danser !
Elle ouvrit la bouche pour protester, mais il ne lui en laissa pas le temps.
- Je t’interdis de refuser. Tu ne peux pas rester toute la soirée sur ce canapé, à ressasser les erreurs de ces derniers jours.
- D’accord, céda-t-elle à contrecœur. Tu as gagné, mais une danse seulement.
- On verra ça, lui glissa-t-il joyeusement en passant ses bras autour de sa taille.
Fermant les yeux, la tête appuyée contre son épaule, elle se laissa porter par la musique douce, tentant de repousser les images de la nuit dernière. Un autre corps contre le sien, d’autres mains frôlant sa peau... Les larmes lui vinrent aux yeux.
Elle chercha à se noyer dans le flot des voix, des conversations mêlées. Pour oublier où elle se trouvait et pourquoi.
Un rire la ramena à l’instant présent. Un rire chaleureux, communicatif. Un rire qu’elle aurait reconnu entre mille. Un rire qui l’avait séduite dès les premiers instants. Son rire. Comme une lame enfoncée dans sa chair.
Sans savoir ce qu’elle faisait, elle s’écarta de son ami.
- Je ne peux pas, balbutia-t-elle, un sanglot dans la voix. Je ne peux pas...
Quittant la pièce à l’aveuglette, elle s’enfuit sans savoir où aller.

 

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9 février 2014

Un après-midi comme les autres

Un après-midi comme les autres.
Assise sur le canapé, j’étais plongée dans un roman quand la sonnerie du téléphone retentit. Comme à son habitude, ma fille se précipita. Au bout de quelques secondes et après quelques mots échangés, elle m’appela.
- Maman, c’est pour toi !
Intriguée, je posai mon livre. Qui pouvait bien m’appeler un jour férié ?
- Oui ? fis-je sans enthousiasme, m’attendant presque à une erreur.
- Bonjour, prononça une voix masculine.
Un simple mot et mon univers bascula.
J’eus l’impression que le monde s’arrêtait de tourner tandis que j’étais soudainement rattrapée par le passé. Cette voix, je ne l’avais pas entendue depuis plus de quinze ans et pourtant, mon corps réagissait comme si ça datait d’hier. Je n’avais rien oublié.
Je me laissai tomber sur la chaise à côté du téléphone, incapable de parler, mon souffle s’échappant de manière chaotique de ma gorge.
- Je ne suis pas sûr que tu me reconnaisses, ça fait très longtemps qu’on ne s’est pas parlé, continua-t-il en cherchant ses mots. Je… c’est…
Son prénom glissa de mes lèvres avant que je puisse le retenir, un prénom que j’avais obstinément refusé de prononcer depuis des années.
- Oh, fit-il, surpris. Dire que j’avais préparé tout un discours pour que tu te souviennes de moi.

 

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7 février 2014

Elle était là

Il ne restait plus qu’une poignée de minutes avant minuit.
Le joyeux brouhaha de la fête le suivit alors qu’il quittait le salon bondé pour le calme relatif du couloir. Sans prendre la peine d’allumer la lumière, il fit un tour rapide de la maison. Les paroles de son ami résonnaient à ses oreilles, pressantes. « Elle est mal, vraiment mal. Je me fous pas mal de ce que tu lui dis, mais va la voir ! Maintenant ! »
Personne dans la cuisine. La porte entr’ouverte du bureau laissait apparaître une pièce encombrée des manteaux de ses invités, mais déserte. La salle d’eau et même sa chambre lui offrirent un spectacle identique. Où s’était-elle réfugiée ?
Debout au milieu du couloir, il réfléchit. Était-il possible qu’elle soit sortie ? Les dernières chutes de neige et les températures négatives de cette nuit de la St Sylvestre n’incitaient guère à une promenade en pleine nature, mais si elle avait réellement voulu fuir la foule...
Décidé à en avoir le cœur net, il retourna sur ses pas et poussa la porte du bureau pour s’assurer de la présence - ou de l’absence - de son manteau.
Elle était là.
Roulée en boule dans le coin le plus sombre de la pièce. Ses bras enserrant ses jambes repliées, le front posé sur ses genoux, ses longs cheveux bruns dissimulant son visage.
Un instant, il se demanda comment il avait pu ne pas l’apercevoir lorsqu’il avait jeté un coup d’œil dans la pièce. Puis il oublia tout le reste pour ne plus voir que sa détresse évidente. Une détresse dont il était, au moins en partie, responsable. Comment en étaient-ils arrivés là ? À quel moment les choses avaient-elles commencé à lui échapper, à leur échapper ?
Aussi immobile qu’elle, il contemplait la forme fragile, recroquevillée, seulement éclairée par l’économiseur d’écran de l’ordinateur posé sur le bureau. La lueur changeante donnait une impression d’irréalité à la scène. En lui, se mêlaient le soulagement de l’avoir retrouvée, l’indécision quant à ce qu’il allait lui dire, la crainte de la blesser et un autre sentiment qu’il ne parvenait à définir. Comme si des milliers de signaux dans sa tête lui hurlaient silencieusement qu’il était à un moment crucial de son existence.
Se secouant intérieurement, il s’interrogea sur la conduite à tenir. Elle n’avait pas bougé depuis qu’il était entré dans la pièce. L’avait-elle seulement entendu avec la musique et le bourdonnement des voix en provenance du salon ?
Un désir fit brusquement irruption dans son esprit, gagnant en intensité. La prendre dans ses bras et effacer ses tourments. La protéger.
Presque timidement, il s’approcha d’elle et s’accroupit pour se mettre à sa hauteur.
- Je peux m’asseoir à côté de toi ? demanda-t-il doucement.
Elle ne broncha même pas au son de sa voix, toujours aussi immobile qu’une statue. Choisissant de prendre son absence de réponse pour un acquiescement tacite, il se glissa entre elle et le vieux sofa et, sans plus s’interroger sur ses motivations, passa un bras autour de ses épaules, l’attirant contre lui.
L’espace d’un court instant, il sentit son corps se raidir sous son geste, puis elle se laissa aller contre lui. Il retint son souffle lorsqu’elle posa la tête sur son épaule, réalisant soudain combien son immobilité l’avait inquiété.
Le silence les entoura tandis qu’il cherchait comment amorcer le dialogue, un silence fait d’absence de mots au milieu d’un fond sonore festif presque discordant. Machinalement, il commença à caresser les longues mèches brunes, rideau derrière lequel elle se cachait.
Les minutes passèrent, lentement, presque douloureusement.
- Je n’aurais pas dû venir, murmura-t-elle enfin, la voix rauque d’avoir gardé le silence si longtemps.
- Je suis heureux que tu sois là, protesta-t-il avec sincérité.
- Ça a tout compliqué...
Il ne pouvait le nier. Pourtant, pour rien au monde il n’aurait effacé les deux dernières journées. Quelles qu’en soient les conséquences.
Brisant la bulle d’intimité qui s’était créée autour d’eux, un rire strident leur parvint du salon, leur rappelant, s’il en était besoin, les réjouissances en cours.
- Tu devrais être avec eux, suggéra-t-elle sans acrimonie.
- Ils n’ont pas besoin de moi pour fêter l’arrivée de la nouvelle année. C’est avec toi que je veux être.
Elle secoua obstinément la tête.
- Ce n’est pas bien, insista-t-elle.
- Je sais, souffla-t-il, songeant à tout ce qui s’était passé ces derniers jours. Songeant à tout ce qui risquait de se produire s’ils restaient là, tous les deux, dans cette obscurité complice.
Déjà, les souvenirs de la nuit précédente remontaient à la surface.
Les regards qui se croisent, l’étincelle que l’on tente de réprimer, les corps qui se frôlent, l’amitié qui vole en éclats devant l’embrasement. Le désir irrépressible, la frustration qui vous ronge, la tentation à portée de main, l’ivresse de deux corps qui se découvrent, le...
Non ! Il ne devait pas songer à ça, pas maintenant. Pas alors qu’il sentait son corps souple blotti contre le sien, chaud, tentateur. Mais toute sa volonté ne pouvait rien contre les réactions de son propre corps.
Pourtant, au désir purement charnel se mêlait une tendresse qui n’était pas là la veille. Il avait toujours autant envie d’elle, mais il avait aussi envie de la protéger, d’effacer ses souffrances, de lui redonner le sourire. Et il redoutait ce qu’impliquaient ces désirs. Trop d’obstacles entre eux.
Il retint un soupir tandis que le silence se réinstallait entre eux. Ils n’avaient pas parlé de ce qui s’était passé. Comment l’auraient-ils pu au milieu de l’effervescence des préparatifs du réveillon ? Passer ne serait-ce que cinq minutes en tête-à-tête se révélait déjà un exploit ! Il enrageait à l’idée de la voir bientôt repartir sans avoir eu l’occasion de lui expliquer, sans savoir ce qu’elle pensait.
À présent qu’il en avait l’opportunité, les mots qu’il avait préparés, qu’il s’était répétés tout au long de la journée semblaient avoir perdu tout leur sens. La seule chose qui lui importait encore était de la serrer contre lui et d’oublier tout le reste.
Il ferma les yeux, la joue appuyée contre ses cheveux, son souffle caressant dans le cou.

La porte s’ouvrit brusquement et Cathy entra dans la pièce, la main sur l’interrupteur. Une lumière vive jaillit des spots accrochés au plafond, le ramenant douloureusement à la réalité. Il cligna des yeux, tentant d’ignorer le sentiment de culpabilité qui renaissait en sa présence.
- C’est donc là que tu te cachais ! s’écria la jeune femme d’une voix haut perchée. Ça fait des heures que tu as disparu !
- N’exagère pas, protesta-t-il avec lassitude, tu as passé toute la soirée avec ta cousine et son copain. Ça m’étonnerait que tu aies eu besoin de moi.
Elle rit, insouciante.
- C’est maintenant que j’ai besoin de toi ! Il va être minuit dans quelques instants, je veux que tu soies avec moi pour le décompte avant la nouvelle année. Tu dois m’embrasser et me souhaiter une bonne année à minuit pile, c’est la tradition !
Tout contre lui, il sentit son amie qui tentait de s’écarter discrètement. Il resserra fermement sa prise autour de ses épaules pour l’inciter à rester où elle était. Après tout, ils ne faisaient rien de mal.
- Écoute, ce n’est pas le moment, fit-il à Cathy, désignant d’un geste du menton la silhouette prostrée à ses côtés.
- Qu’est-ce qu’elle a ? demanda la jeune femme sans même se soucier de baisser la voix. Elle a trop bu ?
Il soupira. Le tact et la discrétion ne faisaient pas partie de ses qualités. À une époque il avait été charmé par son franc-parler, cette manière de toujours dire ce qu’elle pensait. À cet instant précis, il y voyait surtout un égocentrisme monstre qui la rendait incapable de discerner la souffrance de ceux qui l’entouraient.
- Tu veux que j’aille chercher son copain ? insista-t-elle. Le grand brun avec les cheveux longs et la chemise à carreaux, c’est ça ?
- Ce n’est pas... commença-t-il agacé, avant de s’interrompre.
À quoi bon lui expliquer une nouvelle fois que le fait qu’ils soient arrivés ensemble ne signifiait pas qu’ils soient en couple ?
- Je n’ai pas besoin que tu ailles chercher qui que ce soit, j’aimerais juste... un peu de temps au calme, tenta-t-il de lui expliquer.
- Mais tu vas rater les douze coups de minuit ! protesta-t-elle énergiquement. Tu avais promis qu’on fêterait la nouvelle année ensemble, avec tes amis. Moi je veux être avec toi !
- Vas-y, l’enjoignit la voix de son amie, se dégageant de son étreinte prétendument amicale.
- Tu vois ! triompha Cathy.
Il les regarda l’une et l’autre, déchiré entre ce que son cœur et sa raison lui dictaient. Non, entre ce que son corps et sa raison lui dictaient. Ce n’était pas de l’amour, ça ne pouvait être de l’amour. Pas si vite, pas si intensément, pas alors qu’il venait de réorganiser sa vie. Et surtout pas maintenant, pas avec Cathy qui attendait qu’il la rejoigne.
Les signaux d’alarme retentirent à nouveau dans sa tête, plus pressants, impossible à ignorer. Et il comprit ce qu’il refusait de voir depuis la veille. Il était à la croisée des chemins, de son chemin.
Il pouvait choisir la facilité, une vie de couple sans risque mais loin de tout débordement de passion. La vie qu’il s’était lentement construite depuis son arrivée dans la région un an et demi plus tôt, entre un boulot qui lui plaisait et de vagues projets d’avenir ébauchés avec une femme qu’il appréciait.
Ou bien il pouvait choisir le chemin plus difficile, celui pavé d’écueils, sans certitude aucune. Celui sur lequel se dressaient de nombreux obstacles qu’il pouvait déjà discerner, mais au bout duquel se dissimulait un peut-être inespéré. Promesse incertaine d’un amour qui pourrait tout bouleverser s’il se risquait à se battre pour lui.
Une décision qui aurait demandé réflexion mais qu’il allait devoir prendre sans attendre, tiraillé entre le désir et la culpabilité.

 

Ce texte se poursuit ici, Dernière danse...

 

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7 février 2014

Kissing a dream...

Je me tenais devant la porte fermée, le cœur battant.
Les mains moites, j’attendais que le couloir se vide, me demandant une fois de plus quelle folie m’avait amenée à cet endroit précis. Autour de moi, le bruit des conversations s’estompa. Bientôt, je n’entendis plus que les battements sourds de mon cœur. Avais-je perdu l’esprit ?
Poussée par quelque démon qui devait se réjouir de mes tourments intérieurs, je levai la main et frappai plusieurs coups peu assurés contre le battant de bois, espérant vaguement que personne ne vienne répondre.
Une éternité sembla s’écouler, je respirai plus librement alors que mon appréhension s’estompait devant l’évidence : il n’y avait personne.
Alors que je m’apprêtais à regagner la sécurité de ma chambre, la porte s’ouvrit soudain et il se tint devant moi, me dominant de sa grande taille, une interrogation polie dans les yeux.
- Yes ?
Le souffle court, j’oubliai instantanément le discours que j’avais pourtant soigneusement préparé. Une panique familière m’envahit et je maudis le brusque accès de courage qui m’avait conduite dans ce couloir.
Une pensée traversa mon esprit tétanisé, je n’avais rien à perdre à vivre cette folie jusqu’au bout.
- Pouvons-nous discuter quelques instants ? m’entendis-je lui demander en anglais.
Visiblement surpris par la requête inattendue de cette inconnue, il ouvrit néanmoins sa porte et m’invita à entrer.
Je m’avançai dans la chambre d’hôtel, remarquant à peine la douceur de l’épaisse moquette grise, la sobriété du mobilier de bois sombre, la valise entrouverte posée sur le pied du lit.
D’une politesse exquise teintée d’un soupçon de curiosité, il m’invita à m’asseoir sur le canapé disposé entre les deux fenêtres. Je traversai la pièce comme dans un rêve et pris place sur le siège de velours brun avec un soulagement que je dissimulai derrière un sourire crispé. Même si mes jambes tremblantes me lâchaient, je ne m’effondrerais pas lamentablement sur le sol en face de lui.
Après une seconde d’hésitation, il vint me rejoindre sur le canapé - j’aurais pu le toucher en tendant la main vers lui - et il se tourna vers moi, attendant patiemment que je lui explique la raison de ma présence.
La gorge nouée, je gardai les yeux baissés de peur de croiser son regard et de perdre le peu de moyens qui me restait.
- Je… je sais que vous ne me connaissez pas, et vous… vous allez sans doute me prendre pour une folle, mais… balbutiai-je sans plus réfléchir, les mots s’échappant soudain de mes lèvres sans que je puisse les retenir malgré mon manque de pratique de la langue de Shakespeare. Je n’aurai sans doute jamais d’autre occasion et je, je… je ne veux pas me dire, dans quelque temps, que j’ai bêtement laissé passer ma chance.
« Je connais trop bien », ajoutai-je en moi-même, « le poids des regrets des occasions que l’on n’a pas eu le courage de saisir… »
Je levai finalement les yeux sur son visage pour observer sa réaction. Malgré l’incohérence de mes propos, il me regardait avec la même expression concentrée qu’il arborait toujours avant l’extinction des feux rouges.
Sentant une chaleur inopportune gagner mes joues sous ce regard pénétrant, je baissai à nouveau les yeux, les posant désespérément sur mes mains glacées.
- Oui ? répéta-t-il d’un ton interrogateur, cherchant visiblement à comprendre ce qui m’amenait.
Les mots restaient bloqués dans ma gorge, j’aurais voulu disparaître et oublier que j’étais venue jusqu’ici. Mais le démon qui s’amusait à mes dépens m’incita à poursuivre, se délectant de l’humiliation qui allait suivre.
- Ça va vous sembler ridicule, mais je… j’éprouve pour vous des sentiments qui… commençai-je d’une voix hachée par l’émotion. Je sais que je ne connais de vous que l’image que vous avez choisi de montrer, mais ce que je ressens n’a rien à voir avec l’admiration d’une midinette pour son idole ! C’est l’attirance d’une femme pour un homme, m’enflammai-je soudain, gardant obstinément les yeux baissés sur mes mains qui se crispaient, la chaleur gagnant progressivement le reste de mon visage.
À l’agonie, je poursuivis dans un souffle.
- Je suis amou…
Un doigt se posant sur mes lèvres me réduisit au silence. Je n’osai plus bouger. Il n’avait pas éclaté de rire devant ma stupide déclaration, un bon point pour lui, mais il n’avait toujours rien dit.
Le silence s’éternisa.
Était-il furieux, choqué, mal à l’aise, en colère, offensé ? Préparait-il une diatribe qui me crucifierait sur place ou cherchait-il une manière délicate de se débarrasser de moi ? Lever les yeux vers lui était au-dessus de mes forces.
Sa réponse, d’une voix mesurée, me prit par surprise.
- Savez-vous pourquoi, contrairement à certains de mes… collègues, je suis célibataire et aussi notoirement sans attache ?
Rendue muette par ce doigt qui frôlait toujours mes lèvres - pourquoi n’avait-il pas reposé sa main ? - je bougeai légèrement ma tête dans un geste de dénégation, appréhendant l’explication qui n’allait pas manquer de suivre. Allait-il briser toutes mes illusions et mes rêves futurs en m’annonçant qu’il était secrètement marié, ou épris d’une personne non disponible ? À moins qu’il ne prétende être en réalité attiré par les hommes ?
À cette idée, qui ne m’avait jamais effleurée auparavant, toute la chaleur déserta mon visage, me laissant plus glacée que si j’étais restée toute une journée dehors, en plein hiver.
- La manière dont je vis, dont nous vivons tous dans ce milieu, n’est que difficilement compatible avec une vie de couple épanouie. Rares sont ceux qui parviennent à gérer leur carrière et leur vie de famille sans que l’une ou l’autre n’en pâtisse, commença-t-il, sa voix gagnant en ferveur au fur et à mesure de son explication. Je refuse d’imposer une relation aussi épisodique à une femme. Le jour où je déciderai de m’investir dans une relation amoureuse, ce sera parce que celle que j’aime est plus importante à mes yeux que les titres ou les victoires. Elle aura la première place dans ma vie, parce que c’est aussi ce que j’aimerais être pour elle.
Un frisson me parcourut toute entière à cette déclaration digne d’une profession de foi. S’il était sincère, et curieusement je n’en doutais pas, l’image de lui véhiculée par les médias, pourtant déjà flatteuse, ne lui rendait pas justice.
J’osai enfin relever la tête et croisai son regard lumineux. Une flamme s’alluma en moi, brûlant ma réserve habituelle.
- Comment savez-vous que vous ne l’avez pas déjà croisée, cette femme que vous attendez ? Si vous refusez d’entamer la moindre relation, vous pourriez la laisser passer sans le savoir !
Il sourit.
Et ce sourire sur son visage habituellement austère modifia tellement son expression que je serrai les poings pour m’empêcher de tendre ma main vers lui, attirée par sa chaleur comme un papillon par une flamme.
- Je le saurais, fit-il avec simplicité, inconscient du maelström d’émotions qu’il provoquait en moi.
Le souffle court, j’étais à présent aussi incapable de le quitter des yeux que quelques instants plus tôt je l’étais de croiser son regard.
- Et si elle était prête à se contenter de ce que vous avez à offrir dès maintenant ? Prête à vous soutenir dans votre carrière ? Prête à se battre pour de nouvelles victoires, pour ce titre auquel elle aspire autant que vous, pour vous ?
- Alors je serais l’homme le plus chanceux du monde.
Cette même évidence dans sa voix.
- Mais vous ne parlez plus d’une personne hypothétique, me fit-il remarquer. L’amour ne se commande pas.
Je soupirai. Je ne pouvais qu’être d’accord avec lui.
- Non, l’amour ne se commande pas… murmurai-je pour moi.
Je ne pouvais choisir de ne plus ressentir ce que j’éprouvais pour lui. Il enflammait mes rêves depuis trop longtemps. Je réalisai soudain que ce qui m’avait amenée jusqu’à sa porte n’était pas le besoin irrépressible de lui avouer mes sentiments, mais l’espoir que son comportement annihilerait ces sentiments. J’aurais dû savoir que c’était perdu d’avance.
Le silence s’installa à nouveau, d’une texture différente.
Une fois de plus je baissai les yeux, pour ne pas lire la compassion dans le regard qu’il posait sur moi. Je ne pouvais supporter sa pitié. J’aurais voulu qu’il pose les yeux sur moi et tombe éperdument amoureux au premier regard ! Comment pouvais-je être encore aussi naïve à mon âge ? La vie n’est pas un conte de fée…
Je me levai, prête à partir, à m’enfuir. Sa main se posa sur mon bras nu pour me retenir, envoyant une décharge dans tout mon corps.
- J’aimerais rencontrer une femme telle que vous la décrivez, avoua-t-il, se levant à son tour.
- Je vous le souhaite…
Mes mots n’étaient qu’un souffle à peine audible devant ce vœu sincère mais tellement douloureux. Sa main remonta lentement le long de mon bras, légère, laissant une trace de feu sur son passage. Tétanisée, ayant l’impression de me consumer de l’intérieur, mes pensées se bousculaient dans ma tête, incohérentes.
- Elle aurait sans doute beaucoup à perdre, à offrir son amour ainsi, remarqua-t-il d’un ton faussement détaché.
- Beaucoup à gagner aussi…
Je ne reconnaissais plus ma voix, assourdie par les battements de mon cœur qui s’affolait, tandis que sa main, toujours légère, quittait mon bras pour repousser délicatement une mèche de cheveux tombée devant mes yeux, s’attardant sur mon visage.
- Elle n’aurait aucune certitude quant à l’avenir ; le danger et la notoriété deviendraient ses compagnes, l’une comme l’autre sont parfois très lourdes à supporter et l’amour n’y survit pas toujours.
Sa voix beaucoup moins indifférente à présent, comme s’il retenait son souffle. Sa main qui descendait le long de mon visage, effleurant ma tempe, ma pommette, la courbe de ma joue, l’arrondi de mes lèvres entr’ouvertes.
- Je serais prête à courir ce risque…
Un murmure frémissant.
Sa main qui relevait doucement mon visage, tandis que le sien descendait à ma rencontre. Son regard où brillait une étincelle qui n’était pas présente quelques instants plus tôt. Sa bouche qui s’approchait de la mienne, promesse d’un peut-être inespéré. Son souffle chaud qui caressait ma peau à la sensibilité exacerbée dans l’attente…
Ses lèvres qui se posaient sur les miennes, dans une explosion de tout mon être.
La certitude d’avoir enfin trouvé mon havre de paix.

 

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