Une vie sacrifiée
Je m'éveille…
Dehors le jour se lève doucement, il est encore tôt. Trop tôt pour une journée de vacances. Je me tourne dans le lit, roulée en boule sous la couette. Envie de me rendormir, de retrouver ce rêve dont le souvenir s’effiloche déjà. Les larmes montent, j’ai compris.
Prémices d’une journée sans. Sans savoir, sans vouloir, sans pouvoir. Impuissante. À lutter sans cesse pour retenir mes larmes.
Dans ma tête, c’est comme un sombre couloir sans fin. Le long des murs, tels des panneaux lumineux qui clignotent, le mot « échec » répété à l’infini. Ma vie s’affiche en surimpression. Avec les erreurs et les manques.
La psy a vu clair en moi, d’une manière qui m’effraie un peu. Une vie sacrifiée, ce sont ses mots. Un échec programmé, les miens. Dès la naissance et peut-être même avant. Inconsciemment.
Je n’ai pas les armes pour lutter contre cette évidence. Je ne les ai jamais eues. Je l’ignorais. Un combat illusoire pour tenter d’exister, pour trouver sa place dans l’univers. Une raison de vivre. Je pourrais m’effacer de la réalité sans conséquence. Je n’existe même pas.
Des échos de mon rêve de la nuit me reviennent. Toujours les mêmes. Ce que je n’ai jamais eu et ce que je n’aurai jamais.
Je suis comme un jouet brisé dès sa conception. Irréparable. Une erreur de fabrication a enrayé le processus.
Je cours après la reconnaissance de mon existence, une légitimité. Incapable de me trouver dans tout ce chaos. La seule chose qui me maintient en vie, c’est l’exacerbation de mes sentiments. La douleur, la détresse, le manque, l’absence… L’espoir, connais pas.
Et cette petite voix muette qui me répète comme un leitmotiv que je ne vaux rien, que ma vie n’a aucun intérêt.
J’entends bien quand la psy me dit que ce n’est pas vrai. Une partie de moi sait, rationnellement, qu’elle a raison. Que j’ai, tout autant qu’un autre, des richesses à offrir qui méritent qu’on s’attarde sur ma petite personne, qu’on creuse au-delà de la surface. Mais la voix de la raison ne peut rien contre ce qui est le cœur même de ma non-existence. Je ne suis rien.
Mes rêves sont là pour me tourmenter. Pour me montrer, avec une cruelle réalité et jusque dans le moindre détail, tout ce qui m’est à jamais inaccessible.
Les heures ont passé depuis ce réveil trop matinal. Les larmes se sont taries… provisoirement. Pour préserver les apparences. Pour ne pas montrer à ma fille la détresse que je dissimule. Même si je sais qu’à son âge, j’étais sensible aux états d’âme de mon entourage.
Comment pourrait-on m’aimer, m’apprécier, me voir même, alors que je me dénie toute possibilité d’existence ? Je traverse la vie tel un fantôme, invisible, impalpable… irréelle. Mes appels au secours sont muets.
Je n’attends rien et pourtant je continue d’attendre. Toutes les contradictions en moi.
Ne rien attendre pour ne pas être déçue, pour ne pas souffrir, parce que de toute façon je sais qu’il ne viendra rien ni personne. Mais attendre quand même. Parce que l’improbable est tout ce qui me reste.
Attendre et souffrir. Attendre et mourir un peu plus à chaque instant. Attendre et finir par disparaître.
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